Approchons-nous du merveilleux buffet. Baissons les yeux. Quittons les hautes sphères. Regardons le portique qui porte l'instrument : quelle perspective grandiose ! Les colonnes cannelées, décalées en oblique, sont au nombre de 12.
Comment ne pas penser aux 12 Apôtres ? Pour nous aider, Pierre et Paul sont là, que l'on appelle justement « les colonnes de l'Eglise ».
Ces deux hommes, différents et complémentaires, représentent les deux aspects de l'Eglise que l'on aime beaucoup, aujourd'hui, distinguer : l'institution et la mission.
Saint Paul
Représente la mission de l'Eglise, à l'extérieur d'elle-même. Cet l'aspect missionnaire de l'Eglise, c'est Saint Paul, l'Apôtre des nations païennes, qui l'incarne.
Regardez-le donc : appuyé sur l'instrument de son martyre (il a péri par le glaive) chevelure et barbe fleuve, la tête inclinée, il regarde son jarret !
C'est que ses jambes amorcent un départ, on dirait même un pas de danse, il nous semble qu'il va bondir...
Saint Pierre
Qui brandit les clés du Paradis dans une attitude très déclamatoire, le visage socratique, c'est l'institution. On pense alors à tout ce que fait l'Eglise à l'intérieur d'elle même, pour les membres qui lui sont déjà tout acquis.
Remarquez le drapé fluide et ondoyant du vêtement de Saint-Pierre : rappel de l'Antique, qui laisse deviner que les Piette avaient reçu une solide culture classique, peu commune chez les sculpteurs de province.
Levons les yeux
Portons nos regards au premier étage, en remarquant qu'on retrouve dans le buffet d'orgue l'élévation à trois étages de la nef gothique, bien qu'il n'y ait pas correspondance étroite.
C'est là que les tuyaux du positif, au centre, dissimulent à nos yeux la console aux cinq claviers. C'est donc là que tout se joue, c'est là que mains et pieds de l'organiste entrent en action pour que des flots de musique déferlent dans toute la cathédrale.
C'est le lieu de l'agir... le lieu de la vie...
Une question nous est posée : quelles sont les conditions pour que cette action et ce chant soient une vraie louange à Dieu ?
Si cela concerne l'artiste qui joue, cela concerne aussi toute l'Église, Corps du Christ, puisque tout ce qu'elle fait doit donner à Dieu Louange et Gloire.
La réponse est là, taillée dans le bois, et elle est claire : vivez la Foi, l'Espérance et la Charité. Voilà les incontournables conditions pour que l'Eglise ne fasse pas « du toc » en fait de Louange !
La Foi
A gauche, la Foi : c'est vrai qu'il faut, d'abord et avant tout, avoir au coeur cette certitude, ce regard sur l'invisible, cette confiance que l'on nomme la Foi, sinon nos chants, notre musique, se réduisent à une belle réalisation humaine, à du théâtre...
La Foi est représentée par ce personnage qui propose une grande et belle croix toute enveloppée d'or : au centre de notre Foi de chrétiens, il y a le Mystère de la Croix qui est un Mystère d'Amour du Christ, justement pour son Eglise.
L'Espérance
A droite, l'Espérance : c'est vrai qu'il nous faut espérer rejoindre Dieu un jour, et compter déjà sur lui pour aujourd'hui, pour que nos chants et notre vie soient une louange. Et, à ce niveau, les pièges sont nombreux. Regardez cette femme qui symbolise l'Espérance Chrétienne, regardez le geste énergique et expressif qui est le sien : de la main droite, elle fait fi des espérances humaines, elle les rejette !
Elle nous dit : « Si vous ne mettez votre espérance que dans l'Argent, le Plaisir, la Puissance, l'Orgueil et autres voies en impasse, vous êtes perdus! Prenez plutôt cette ancre d'or que je vous tends, c'est l'Espérance. Elle opère votre ancrage dans la Vie Eternelle... »
La Charité
Et la Charité ? Où donc la voyez-vous représentée ? Regardez ce petit orchestre de chérubins, tous ces angelots musiciens qui ont la vivacité joyeuse et le visage attentif que les Piette ont donné à la plupart de leurs personnages.
Ils chantent à pleine voix, ils jouent de la guitare, de la viole de gambe et du violon, sous l'impérieuse baguette d'un petit chef d'orchestre.
C'est que la charité, c'est tout un ensemble, tout un bouquet, toute une symphonie de petites actions que l'on répète tout au long de la vie.
Les armes du chapitre
Mais, à ce même étage, au-dessus des portes latérales, il y a aussi d'autres putti, non musiciens cette fois, qui présentent les cartouches aux armes du chapitre commanditaire : « d'azur trois pommes de pin d'or, posées deux et une ». Intégrons cela à notre contemplation mystique en nous disant que l'armoirie représente toute l'identité de la personne ou de la famille : toutes nos capacités, tous nos talents,
tout ce que nous avons reçu des nôtres, et ce que nous avons acquis pour être ce que nous sommes... eh bien, c'est cette totalité de notre vie qui doit être une louange pour Dieu !
Levons encore les yeux...
C'est le second étage de notre buffet..
Les tuyaux d'orgue
Nous n'y voyons qu'une multitude de lignes verticales. Laissons-nous saisir par la verticalité de tous ces tuyaux d'orgue qui montent plus haut que la terre. Quel spectacle! Quel élan! Quelle ivresse!
Les longs pointillés d'or qui grimpent dans les boiseries de séparation ne nous font-ils pas comme un petit clin d'oeil ? On pense aux lignes médianes discontinues de nos autoroutes !... C'est qu'ils vont se rejoindre, à grande vitesse dirons-nous !
Le plan cintré
Remarquons en passant le plan cintré, la disposition en hémicycle.
Cette particularité du buffet d'orgue de Saint-Omer est assez rare, soit dit en passant, car, en général, les buffets sont plus souvent convexes que concaves. L'enveloppement de tout le buffet opère avec magie: il nous rassemble, nous unit, nous emporte.
Les hautes Tourelles
Et nous voici maintenant là-haut, tout là haut, où l'Église, Corps du Christ, trouve achèvement et plénitude. Deux grandes figures, couronnant les hautes tourelles, seront le signe de la réussite de l'Oeuvre du Christ: le roi David et sainte Cécile. Traités avec beaucoup de force, chacun avec son instrument du musique, la harpe pour le roi David, l'orgue portatif pour Sainte Cécile, ils sont tous deux inclinés :
ils suivent la musique de l'orchestre des anges tout en nous regardant, nous, membres du Corps du Christ...
Le roi David
David a donné à Dieu Louange et Gloire : il a écrit les Psaumes de la Bible. Il a vécu 1000 ans avant le Christ. Il n'a donc pas été visiblement ni physiquement « membre de l'Église, Corps du Christ ». Serait-ce que ce grand Corps déborde ses frontières visibles ? Rien de plus vrai : le Christ est le Sauveur universel. Il a sauvé -par anticipation- les hommes qui vivaient avant sa venue et participaient à son Esprit par la sainteté de leur vie.
Ce grand et majestueux roi David représente tout les hommes droits, sincères et religieux de toutes les grandes religions ! Pourquoi mettions-nous une limite à l'amour de Dieu et à l'universalité du salut apporté par le Christ ?
Sainte Cécile
Mais n'oublions pas pour autant notre chère Sainte Cécile ! Car, tout de même, la tranche d'humanité qu'elle représente, et dont nous sommes pour la plupart, a valeur précieuse aux yeux de Dieu !
Il s'agit, cette fois, des baptisés, des membres conscients de l'Eglise fondée par le Christ...
Levez les yeux au ciel
Là-haut, une trouée de lumière ! Un appel vers l'infini ! Et cet infini semble se déverser vers vous grâce à l'heureux mariage des arêtes de la voûte gothique et des corniches curvilignes de la montre.
Ne voyez-vous pas qu'il y a là comme un immense coeur renversé, et qui déverse de la lumière, incliné vers vous ? Suger, que l'on pense originaire de Saint-Omer (?!), a créé, dit-on, le style gothique parce qu'il voulait que la lumière, que beaucoup de lumière, jaillisse en haut des voûtes des églises... Mais, souvent, les buffets d'orgue ne peuvent que s'adosser à une muraille aveugle ! Ici, on a respecté la source de lumière : le buffet d'orgue s'est incliné pour lui livrer passage !
Et il y a plus : dans les nervures flamboyantes de la fenêtre haute de la tour, lorsque l'on est bien dans l'axe, on voit se dessiner un Triangle, image classique de la Sainte Trinité, juste derrière l'Enfant-Jésus !
Les anges
Les deux grands anges sonneurs de trompette, dont le contre-jour découpe l'élégance des gestes et la fluidité des tuniques, et les deux anges placés plus bas qui jouent de la conque marine et du serpent, représentent tous les Esprits célestes, et ils ne cessent pas de chanter la Gloire de Dieu ! En effet, sur l'étendard bleu de chaque trompettiste, on peut lire, en lettres d'or, le chronogramme suivant : « eXCeLsI In LaVDeM » (à la Louange du Très-Haut) et les lettres majuscules indiquent 1717, date de l'achèvement du buffet.
Jésus-enfant
Mais, planté sur la terre, voici l'Enfant-Jésus ! On le dirait propulsé par la trouée de Lumière ! Il est là, aérien, intemporel, il a déjà les attributs du Ressuscité du matin de Pâques : l'auréole triomphale ceint sa chevelure, et de la hampe de la croix, qui est l'Etendard Pascal, il vise la tête de l'antique serpent. Pourquoi donc ce Jésus-Enfant, frêle et léger, et non pas le Christ en croix, le Christ enseignant, le Christ Pantocrator, le Christ du jugement dernier... Oui, pourquoi ? Sans doute pour évoquer ce que la théologie appelle « le Mystère de l'Incarnation » et pour nous redire que le Fils de Dieu est bien celui qui est venu dans l'humilité. Et s'il est ainsi planté sur la terre, n'est-ce pas pour y planter, à son tour, l'Eglise qui sera son corps Mystique ?...
Les hommes
Ceux-ci sont représentés, au milieu du buffet, par un globe terrestre tout rond et tout bleu, posé comme en équilibre sur la tourelle centrale, et tout irait pour le mieux, s'il n'était pas encerclé, enserré, étouffé, par le Serpent du Mal ! La Bible ne nous a-t-elle pas dit que le désordre originel a détourné l'homme de son Dieu et a fermé sa bouche et son coeur à la Louange ? Si l'homme n'est pas d'abord libéré du mal, il ne saurait chanter la gloire de Dieu, il ne saurait donner à son Créateur, la libre louange.